(Analyse) Ordonnances d’urgence: congés payés, durée du travail et jours de repos

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Nous reprenons ici l’analyse réalisée par Pauline Vaissiere (Avocate) concernant les ordonnances dérogatoires au droit du travail, prises par le gouvernement dans le cadre de l’épidémie COVID-19.

Ses dispositions sont applicables depuis le 26 mars et jusqu’au 31 décembre 2020. Elles permettent de déroger au droit du travail dans trois domaines.

En matière de congés

Pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du COVID-19, un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche, peut autoriser l’employeur à :

Imposer aux salariés la prise de congés payés, dans la limite de 6 jours

  • Telle qu’elle est rédigée l’ordonnance vise tant les congés acquis, que ceux qui sont en cours d’acquisition (ce qui est contraire aux annonces du gouvernement).
  • L’ordonnance réduit le délai de prévenance pour imposer des CP à un jour franc, contre un mois jusqu’ici.

ATTENTION :

  • Une zone d’ombre demeure sur les congés susceptibles d’être visés par la mesure. Il semble que les CP qui seront en cours d’acquisition sur la période juin 2020/mai 2021, et dans la limite du 31 décembre 2020, soient également concernés.
  • Il faut impérativement tenter de faire appliquer la règle la plus favorable aux salariés.
  • Le droit européen impose qu’un travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines (article 7 de la directive européenne du 4 novembre 2003 concernant certains aspects du temps de travail).

Modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés dans la limite de 6 jours

Cette disposition porte sur les congés payés déjà posés par le salarié.

À défaut d’accord collectif, la loi autorise déjà l’employeur à le faire sans respecter le délai de prévenance d’un mois, en cas de circonstances exceptionnelles (L.3141-16) comme c’est le cas actuellement (au sens de la Jurisprudence cela sera surement le cas).

Imposer le fractionnement des CP sans l’accord du salarié

Situation avant les ordonnances :

  • Le salarié doit prendre a minima 12 jours continus entre le 1er mai et le 31 octobre, (sauf dispositions conventionnelles contraires ou accord des parties) ;
  • Les jours de congés dépassant ce bloc de 12 jours continus peuvent être pris dans ou en dehors de cette période dite estivale (sauf dispositions conventionnelles spécifiques). Si c’est en dehors, on parle de fractionnement des congés payés (avec l’accord du salarié).
  • La 5e semaine de congés payés n’est en principe pas accolée à ce congé principal.

L’ordonnance permet à l’employeur de fractionner ces congés, sans l’accord du salarié. Toutefois, le texte ne précise pas s’il s’agit des cas où le congé principal est supérieur à 12 jours (qui peuvent être aujourd’hui fractionnés avec l’accord du salarié) ou les 12 jours continus minimaux du congé principal.

Il n’est pas davantage précisé si le fractionnement ouvrira droit à des jours supplémentaires.

À défaut de précision il est recommandé faire appliquer la règle la plus favorable aux salariés.

Fixer les dates de congés sans tenir compte du droit aux congés simultanés des conjoints ou pacsés salariés de la même entreprise.

L’employeur pourra dissocier leurs congés si la présence de l’un des 2 conjoints seulement est indispensable à l’entreprise, ou si l’un des 2 a déjà épuisé ses CP.

Ces mesures dérogent temporairement aux dispositions légales et aux accords collectifs applicables (d’entreprise, d’établissement ou de branche).

À noter, la période de CP imposée ou modifiée ne peut s’étendre au-delà du 31 décembre 2020.

Les négociateurs devront donc veiller :

  • à encadrer, dans l’accord, les situations dans lesquelles l’employeur pourra avoir recours à ces mesures ;
  • à préciser les périodes de CP concernées par ces mesures, prévoir un délai de prévenance supérieur à 1 jour franc et préciser les modalités d’information des salariés ;
  • être vigilant sur les possibilités de fractionnement du congé principal.

À défaut d’accord, ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent.

En matière de repos

L’employeur peut déroger de manière unilatérale aux dispositions conventionnelles applicables (d’entreprise ou de branche) en cas de difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19.

Il pourra ainsi :

  • Imposer la date de prise de jours RTT et des jours de repos conventionnels acquis prévus dans le cadre d’un aménagement du temps de travail au-delà de la semaine (modulation), qui relèvent en principe du choix du salarié, et modifier les dates de prise de ces jours (art 2) ;
  • Imposer et modifier les dates de prises de jours de repos acquis prévus par une convention de forfait annuel (art.3) ;
  • Imposer la prise de jours de repos placés sur un CET (art.4).

Les conditions et limites :

  • L’employeur doit respecter un délai de prévenance d’un jour franc ;
  • Cette possibilité se limite à 10 jours, tous jours de repos (imposés ou modifiés) confondus ;
  • La période de prise des jours de repos imposée ou modifiée ne peut aller au – delà du 31 décembre 2020.

Selon l’ordonnance, ces dérogations ne peuvent être utilisées que si l’intérêt de l’entreprise le justifie au regard des difficultés économiques liées à la propagation du virus.

Les négociateurs et les élus devront veiller à ce que cette justification ne soit pas détournée par les employeurs et remonter toute dérive.

Par ailleurs, rien n’interdit de négocier pour encadrer ce pouvoir unilatéral de l’employeur (cas de recours, délais, modalités de l’information, etc.).

Une négociation globale sur ces thèmes est à privilégier.

En matière de durée du travail

Dans certains secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et à la sûreté de la nation (dont la liste sera fixée par décret), l’employeur pourra déroger de manière unilatérale aux règles d’ordre public en matière de durée du travail, et aux stipulations conventionnelles applicables.

Il pourra :

  • fixer la durée maximale quotidienne de travail à 12 h : elle est aujourd’hui fixée à 10h, sauf dérogations ;
  • fixer la durée maximale quotidienne d’un travailleur de nuit à 12 h sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur équivalent à la durée du dépassement : elle est aujourd’hui fixée à 8h avec droit à un repos équivalent, sauf dérogations
  • fixer la durée maximale hebdomadaire moyenne d’un travailleur de nuit à 44 h sur 12 semaines consécutives : elle est aujourd’hui fixée à 40h, sauf dérogations ;
  • réduire la durée minimale du repos quotidien à 9h d’un repos compensateur équivalent à la durée du repos non pris : elle est aujourd’hui fixée à 11h, sauf dérogations ;
  • fixer la durée maximale absolue hebdomadaire à 60h : elle est aujourd’hui fixée à 48h/semaine, sauf dérogations ;
  • fixer la durée maximale hebdomadaire moyenne à 48h sur 12 semaines consécutives ou 12 mois pour les exploitations, entreprises agricoles, gardes – chasse, pêche, forestiers, employés de maison d’un exploitant agricole, salariés des organismes de mutualité agricole, caisses crédit agricole, chambres d’agriculture, etc. : elle est aujourd’hui fixée à 44h, sauf dérogations.

Conditions d’application :

  • Les secteurs concernés seront déterminés par décrets. Pour chacun d’eux seront définies les catégories de dérogations admises et la durée maximale de travail ainsi que les durées minimales de repos susceptibles d’être fixées par l’employeur « dans le respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs ».
  • L’employeur doit, sans délai et par tout moyen, informer le CSE et la DIRECCTE.
  • Les dérogations ne seront applicables qu’à compter de la publication des décrets d’application.
  • Les dérogations ne sont possibles que jusqu’au 31 décembre 2020.

L’employeur pourra déroger au principe du repos le dimanche :

Pour qui ?

  • dans les entreprises des secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et à la sûreté de la nation (dont la liste sera fixée par décret) ;
  • dans les entreprises qui assurent aux précédentes, des prestations nécessaires à l’accomplissement de leur activité principale ;
  • ces dispositions s’appliquent également aux entreprises situées dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Pour quelle durée ? jusqu’au 31 décembre 2020

Les élus devront donc être particulièrement vigilants quant au « respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs », seule limite garantie par l’ordonnance à ces dérogations, et signaler toute dérive.

Pauline VAISSIERE
Avocat Associé
SELARL VOA

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